Au milieu des années 1970, au XXe siècle, un groupe de petits garçons de Nouakchott choisissait l’un d’entre eux pour aller au cinéma voir des westerns spaghetti à la mode, des films qu’ils devraient par la suite raconter de manière détaillée aux amis, lesquels vibraient en fonction de l’intensité d’une narration parfaite et hyperbolique. Cette stratégie-la permettait à ce groupe de gamins de faibles ressources, et possédant une curiosité vorace pour les histoires racontées au cinéma, d’avoir accès aux plus grands succès de l’époque. Tantôt en prenant la responsabilité de les voir pour les raconter ensuite, tantôt en assumant tout simplement le privilège d’écouter, émerveillés, le récit du film, raconté par un spectateur choisi au hasard parmi eux.
Cette petite anecdote m’a été racontée à la première personne par un de ces garçons, ami et collègue d’innombrables batailles et dont je cache le nom par pudeur (la mienne et la sienne). J’ignore si cette mémoire a été romancée par les brumes du temps, mais l’essence du sujet se maintient, dans le contexte africain de l’époque, transposable de nos jours. Les salles de cinéma, bien qu’elles demeurent des espaces idéaux pour la perception intégrale de l’œuvre cinématographique – pour la vivre pleinement et jouir de toutes ses composantes esthétiques et techniques – ne sont pas du tout l’unique moyen de diffusion de cinéma. La télévision et Internet se partagent actuellement la responsabilité de la diffusion des films, moyennant certains critères relatifs au temps découlé entre la sortie des œuvres en salle et la classification des films.
Bref, le visionnement de films par l’intermédiaire des chaînes de télévision, spécialisées ou non, obéit à une législation spécifique dans chaque pays, qui est normalement associée à une grille
horaire et à une planification stricte, ainsi qu’à un encadrement en accord avec les normes éthiques qui se convertissent en dispositions légales. La télévision joue également un rôle,
éventuellement encore quelque peu exploité, de diffusion de cinéma indépendant pour les films qui ne trouvent pas de place dans les salles de cinéma ni dans les festivals nationaux ou
internationaux. Dans ce cas, la question qui se pose n’est pas celle du laps de temps écoulé entre la diffusion en salle d’une œuvre et sa diffusion télévisée - car ces œuvres n’y arrivent jamais
– mais plutôt leur marginalisation d’un point de vue commercial. Adressés à un public très spécifique, ces films n’intéressent pas forcément l’industrie, ni les chaînes de distribution
conventionnelles.
Les grands classiques du cinéma, les films ayant marqué une époque et qui sont restés dans la mémoire collective, ou les films déjà un peu datés, ce sont aussi des œuvres qui ne pourront pas
retourner dans les circuits traditionnelles. Leur rediffusion passe donc nécessairement par d’autres voies, comme la télévision. Il existe aussi des plateformes Internet et VOD qui proposent une
vaste programmation à leurs utilisateurs, moyennant le paiement d’un abonnement mensuel. En outre, la télévision est un espace de loisir familial largement répandu dans les centres urbains en
Afrique et un paradigme qui est néanmoins en train de changer en raison de l’appel constant et de plus en plus présent d’Internet, mais qui constitue toujours, à mon avis, un outil irremplaçable
dans la diffusion des films.
La diffusion de films par l’intermédiaire de ces chaînes n’entraîne pas nécessairement de coûts directs pour le spectateur. Cela est viable pour le budget familial tandis qu’aller au cinéma implique un coût individuel, inévitable, associé à un service qui va au-delà de la projection des œuvres puisqu’il est lié à l’entretien de la salle et à tout le marketing. Voir un film au cinéma est une expérience sensorielle inestimable, sans doute, mais qui ne fait pas toujours bon ménage avec des budgets modestes, surtout lorsqu’il s’agit de familles nombreuses. Les salles de cinéma sont ainsi de plus en plus destinées à un groupe de personnes passionnées qui aiment être au courant des nouveautés (le cinéma en salles est un cinéma raconté au temps présent, les films du moment) : les spectateurs de cinéma. Ceux-ci affectionnent la grandeur du spectacle sur grand écran, le rituel des lumières, de la musique introductive, de la climatisation, la douceur du revêtement velouté des fauteuils et l’intimité de l’ambiance créée lorsque l’on entre dans une salle de cinéma et que l’on plonge dans l’obscurité (et dont on sort seulement quand le film nous éclaire).
Je fais partie de ces spectateurs qui ne bougent pas de la salle avant que le dernier nom du générique disparaisse de l’écran et que les lumières s’allument complètement. C’est le minimum, un geste de respect discret envers ceux qui s’investissent pour nous offrir un moment grandiose, visuel et graphique, qui remplit la mémoire de couleurs et de sons.
Aller au cinéma c’est aussi «sortir» ; voir des films à la télé peut être un moment familier vécu en pantoufles et pyjama tout en sirotant une tasse de thé, et peut, en effet, représenter la
seule option viable pour un créneau d’âge avancé chez lequel chaque déplacement constitue un énorme challenge tant physique que financier. À la télévision la logique de la diffusion des films est
différente à d’autres niveaux : des génériques très souvent coupés, des publicités prolongées et ennuyeuses qui coupent le rythme du film et rendent sa durée excessive. Ce sont des contraintes
commerciales et juridiques auxquels nul n’échappe mais qui changent de façon évidente la perception de l’oeuvre.
Ainsi, il semblerait que si la télévision, généraliste ou spécifique, reste depuis de nombreuses années une voie privilégiée de diffusion de films, c’est parce qu’elle apporte le film au
spectateur lorsque celui-ci ne prend pas l’initiative d’aller le voir.
Cette vision complémentaire permet une offre plus large, dans le sens de l’inclusion culturelle des citoyens et qui n’exclue pas la possibilité d’engendrer des revenus non seulement pour les
cinéastes et les maisons de production, mais aussi pour ceux qui pensent et qui produisent des films. Des films qui ne doivent pas seulement être considérés comme un spectacle, mais aussi comme
un moyen de transmission culturelle, un discours citoyen, ainsi qu’une affirmation linguistique, géographique et sociale.
FRESTA Luisa
Angola
Critique de cinéma, écrivaine et poétesse angolaise,
FRESTA Luisa est basée à Lisbonne, Portugal.